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En l’état, François Hollande ne peut pas être le candidat de la gauche et des écologistes en 2017

 

Cécile Duflot est une rebelle.Cécile Duflot: «En l'état, François Hollande ne peut pas être le candidat de la gauche et des écologistes en 2017»
17 JANVIER 2016 | PAR STÉPHANE ALLIÈS
Dans un entretien, l'ancienne ministre revient sur le contexte politique actuel, « ce moment où une raison prétendument supérieure écrase toute réflexion collective et personnelle ». Interrogeant le passé de la gauche et son avenir, elle appelle à la formation d'« un rassemblement qui sache où il va, en alliant ceux qui défendent les humiliés et ceux qui défendent l’écologie ».
Réminiscence du passé, incertitudes sur le présent, confiance en l'avenir. Cécile Duflot a accepté de livrer ses réflexions et ses états d'âme sur le moment politique actuel, à l'aube d'un débat sous haute tension politique à gauche, à propos de la réforme constitutionnelle. Estimant être dans un « moment où la gauche perd pied, boit la tasse et se noie collectivement », comme elle en a déjà connu dans l'histoire du XXe siècle, l'ancienne ministre écologiste du logement ne comprend plus l'orientation du pouvoir de Manuel Valls et François Hollande, et « ce refus obstiné et absolu de consentir à un virage politique ».
Co-présidente du groupe EELV à l'Assemblée nationale, la députée Duflot espère qu'une primaire à gauche puisse faire « craquer les coutures » d'un « paysage politique où, entre Mélenchon et Hollande, il n’existerait aucune autre possibilité », en permettant le débat « devant nos électeurs des choix économiques et des orientations politiques », pour « en finir avec ce glacis conservateur ». Mais elle prévient le président comme le reste de la gauche : « Il reste quatorze mois » d'ici la présidentielle de 2017. « Nous ne pouvons pas utiliser ce temps à faire de la broderie en attendant, qui la catastrophe rédemptrice, qui un improbable miracle ». Entretien.
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Avez-vous depuis le vote de l’état d’urgence l’impression de vivre un moment clef de l’histoire de France et de l’histoire de la gauche ?
Il faut souvent se méfier de la convocation permanente de l’Histoire. Dans l’instant, il est difficile de prendre la mesure de ce qui se passe. Mais chacun sent bien que le quinquennat de François Hollande aura précipité la confusion idéologique de la social-démocratie. En moins de cinq ans, nous sommes passés de « mon adversaire la finance » à « mon ennemi le binational. » Mais le débat sur la déchéance n’est que le bout d’un toboggan funeste, qui a d’abord vu la gauche abdiquer la bataille culturelle sur les termes du débat économique, avant de céder sur les valeurs.
Regardons d’où l’on vient. Le conformisme économique a été la feuille de route de la première partie du quinquennat. Mais l’année 2015 et ses attentats ont remis sur le devant de la scène la question nationale. Dans le maelström des attentats, ce qui se joue n’est pas seulement notre sécurité, mais aussi notre identité. Nous devons à la fois protéger nos concitoyens et nos valeurs. D’une certaine manière les attentats nous obligent à faire notre aggiornamento national. Qui sommes-nous ? Où allons-nous ensemble ? Quel est le destin propre de notre nation dans le monde ?
Le président a participé à de nombreuses commémorations, disant parfois des choses très justes sur ce qui fait la France. Mais ce président commémorant n’habite pas le président agissant. Il y a une disjonction entre les discours sur le passé et l’agir dans le présent.
Vous qui le connaissez bien et depuis longtemps, comment l’expliquez-vous ?
Chose étrange pour un homme de gauche, François Hollande a oublié que la force propulsive de l’idée républicaine, c’est l’égalité. Sa politique économique orthodoxe a fait l’impasse sur cette question. Cet oubli est fatal. Dans mon livre Le Grand Virage (éditions les Petits matins), j’ai tenu à expliquer le lien que je fais entre la montée des inégalités notamment territoriales et la crise politique. Un changement de cap de la politique gouvernementale aurait pu être salutaire. C’est parce que je n’étais pas entendue sur cette analyse que j’ai quitté le gouvernement en pensant que l’orthodoxie économique, l’abandon européen, et la mollesse écologique n’étaient pas le chemin à suivre.
Au contraire, avec l’arrivée de Manuel Valls à Matignon, un choix clair a été opéré. Il s’agissait de répondre non pas à la situation sociale ou à la crise écologique, mais à la prétendue demande d’autorité du pays. En réalité, les attentats et la réaction à y apporter servent de révélateur à des fractures déjà anciennes.
Mais un cap déterminant a été franchi. Le summum fut pour moi le débat sur la prorogation de l’état d’urgence à l’Assemblée nationale le 19 novembre dernier (lire notre article). La tournure des discussions est devenue très spéciale. Portés notamment par Éric Ciotti, des amendements de droite qui durcissaient la loi de 1955 ont rencontré l’assentiment de la majorité socialiste, obnubilée par la question d’un vote conforme au Sénat. Donc prête à céder, sans barguigner, sur des dispositions très restrictives de nos libertés publiques. J’ai eu l’impression de vivre alors ce moment où une raison prétendument supérieure écrase toute réflexion collective et personnelle.
Vous l'avez votée, cette prolongation de l'état d'urgence.
Nous vivions dans le sillage des attentats, l’émotion et la précipitation nous entraînaient — je ne m’exclus en rien, étant députée d’une circonscription comprenant le XIe arrondissement de Paris où eurent lieu les carnages. J’étais donc remuée, embarquée. Et j’ai pu vivre de l’intérieur cette règle qui veut que les parlementaires, pourtant concernés au premier chef, ne sont pas les plus lucides lors des grands bouleversements de l’Histoire. La peur tétanise les meilleurs esprits. En matière de démocratie, le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions sécuritaires.
Vous n’imaginez pas la tension qu’il y eut dans le champ politique, au moment de l’habituelle trêve des confiseurs entre Noël et le jour de l’An, à propos de la déchéance de nationalité. Je n’avais jamais vécu cela. Nous étions au-delà de l’imaginable : qui aurait pu prévoir qu’une mesure empruntée à l’extrême droite par Nicolas Sarkozy lors de son discours de Grenoble, qu’une telle mesure ayant fait hurler la gauche entière jusqu’en dehors de nos frontières, serait reprise par un président de gauche, élu avec les voix de centristes décidés à mettre fin aux dérives en la matière ?
Nous sommes dans un moment de fragilité démocratique où tout peut basculer. 2016 sera peut-être une année cruciale, au même titre que quelques autres — même s’il faut éviter de tout mélanger, de tout comparer.
Lors de ce débat sur la prorogation de l’état d’urgence, le 19 novembre à l’Assemblée, toutes les interventions de Manuel Valls consistaient à réfuter la moindre interrogation au nom d’une « efficacité » dictée par les événements…
Si l’union s’impose dans les heures les plus difficiles — et je l'ai défendue —, elle ne saurait interdire la réflexion. Mais l’union est devenue une assignation à cesser de penser et c'est terrible. D’où la récente petite phrase de Manuel Valls sur « expliquer c’est déjà vouloir un peu excuser », qui induit — et c’est grave — le silence dans les rangs où l’on ne veut voir qu’une seule tête !
C’est aussi un anti-intellectualisme primaire qui fait froid dans le dos. Je pense au contraire que notre devoir d’élucidation de la complexité du monde n’a jamais été aussi grand. La tentation qui consiste à verser dans l’autoritarisme, relève sans doute d’une part de sincérité : face à la menace, on pense qu'il est nécessaire d’adopter la posture martiale du chef de guerre mais elle est un piège : elle oblige à la surenchère permanente.
Une telle conviction ne relève-t-elle pas d’une réponse mimétique apportée aux terroristes ?
J’avais conclu mon intervention au Congrès à Versailles par ces mots : « La démocratie est leur cible, elle sera notre arme. » C’est lors des crises que la défense des grands principes s’impose, face à ceux qui ont la tentation de s’en affranchir. Mon désaccord avec Manuel Valls, qui tend à se cristalliser aujourd’hui, est ancien : l’actuel premier ministre est persuadé que la structuration de débat politique doit se faire autour de l’autorité ainsi que de sa mise en scène. Sa posture n’obéit qu’à un tel parti pris.
Je pense que le terrorisme se combat davantage en luttant contre ce qui l’engendre que par des opérations de police. C’est ce qu’écrivait Germaine Tillion, panthéonisée sans avoir été lue, semble-t-il. La guerre qui nous oppose aux terroristes est d’abord une guerre de conquête des esprits : ils manipulent les haines, enrégimentent des esprits faibles, utilisent les pathologies mentales pour dresser des chiens de guerre, prêts à tuer.
Nous devons absolument gagner politiquement la bataille du sens. Je crois à la transcendance du projet républicain. Mais pour faire sens, cette idée doit s’incarner dans les politiques publiques. Ce n’est pas à la mode que d’avoir une lecture complexe des phénomènes d’enrôlement. Mais c’est vital. La responsabilité des politiques n’est pas d’être les sismographes d’une opinion publique réduite aux sondages, mais bien d’être des guides mus par des convictions. Et de tenir bon sur des valeurs à même de les aider à décider en périodes troublées.
À quelles autres périodes troublées, nocives pour la gauche, nos temps difficiles vous font-ils penser ?
En premier lieu à la décolonisation et à la guerre d’Algérie. La gauche sentait bien alors qu’elle était en porte-à-faux, tout en pratiquant la fuite en avant. Elle ne savait que faire. Le débat d’aujourd’hui, pour la gauche, consiste à sortir de l’ornière de la déchéance de nationalité : ne pas désavouer le président de la République sans pour autant commettre cette faute à laquelle personne n’avait imaginé s’exposer. Or comme du temps de Guy Mollet, le corps social renâcle, après avoir tant subi, avalisé, voté. C’est heureux, beaucoup d’éléments se liguaient pour qu’un tel sursaut n’arrivât pas…
 
Faites-vous une différence entre François Hollande et Manuel Valls dans l’exercice du pouvoir ?
Le facteur humain joue beaucoup en politique, à rebours du mythe de décideurs rationnels et froids. Je ne parlerais pas tant de différences que d’interactions entre François Hollande et Manuel Valls : le sens tactique de l’un se conjuguant avec la vision politique autoritaire de l’autre.
Une telle interaction entre caractères, façons de gouverner et peut-être calendriers, aboutit à un jeu dangereux autour des symboles. On a voulu frapper symboliquement le terrorisme, mais on ne fait qu’instrumentaliser du “symbole” vis-à-vis des citoyens binationaux. Du coup, bien des Français n’ayant rien à voir avec le terrorisme se retrouvent concernés par cette remise en cause de la bi-nationalité. On a beau rabâcher que cela ne concerne que les terroristes et que personne d'autre ne peut se sentir visé, c'est faux, on a touché à un nerf de ce qui fait que la gauche existe : l'aspiration à l'égalité entre citoyens.
S’il y a du Mollet en Hollande, Valls ne renvoie-t-il pas aux « néo-socialistes », qui singeaient les pouvoirs dictatoriaux à l’aube des années 1930, au nom de la modernité, de la force et de l’efficacité ?
Commençons par dire que la situation est bien différente aujourd’hui et que comparaison n’est pas raison. La scission des « néo », intervenue en 1933 à la SFIO avec le départ de 20 000 militants, 27 députés et 7 sénateurs, a été précédée de débats intenses qu’il faut relire. Je suis frappée par la violence des revirements et impressionnée par la dérive du socialiste et futur fasciste Adrien Marquet, exaltant « l’ordre et l’autorité » juste après la prise de pouvoir d’Adolf Hitler à Berlin. Au point de se faire couper par Léon Blum avec cette interpellation fameuse : « Je suis épouvanté ! » Et Blum de se lancer alors dans un raisonnement qui n’est pas sans échos : si nous nous opposons au fascisme avec ses méthodes et avec ses mots, qu’est-ce qui nous en distingue ?
Je me permets de signaler que le raisonnement de Blum vaut, aujourd’hui, pour ceux qui accusent une certaine gauche d’angélisme en affirmant que la meilleure façon de combattre le Front national consisterait à s’emparer de ses thèmes, à commencer par celui de l’ordre qui devrait régner partout.  Pour une conscience de gauche, l’ordre n’est pas un projet en soi. Historiquement, on disait jadis préférer un désordre à une injustice. En 2016, avec une gauche au pouvoir qui semble tolérer sinon encourager la condamnation des syndicalistes de Goodyear ou la mise au ban de ceux qui auraient arraché sa chemise à un DRH d’Air France, nous assistons à une inquiétante triangulation.
Mais à partir du moment où pour déstabiliser l’adversaire politique, on va jusqu’à reprendre ses mots, ses idées, son programme et sa stratégie — de la fin des 35 heures à la déchéance de nationalité —, on finit par faire disparaître du débat public sa propre famille de pensée. La triangulation tactique se révèle sans doute gênante pour la droite, mais si c’est au prix de la volatilisation de la gauche, il n’est pas interdit de s’interroger. D’autant que si tout le monde fait la même chose en courant après le FN pour prétendument l’assécher, où est la démocratie, fondée sur la confrontation politique ? Si chacun peut faire le contraire de ce qu’il a toujours dit simplement pour embarrasser le voisin, quel prix donner à l’engagement et à l’action politiques ?
Il me semble que nous sommes dans l’un de ces moments où la gauche perd pied, boit la tasse et se noie collectivement. Je trouve que c’est plus grave que de savoir si François Hollande sera en mesure de se représenter ou pas, en fonction d’autres candidatures et de leurs modalités sur sa gauche. C’est la démocratie et la façon de désigner ses représentants qui m’apparaissent entachées.
Comment reprendre pied dans ce débat sur la réforme constitutionnelle voulu par le pouvoir, combattu par la gauche et soutenu par la droite ?
Ce même projet porté par la droite aurait vu l’intégralité des parlementaires socialistes vent debout contre, aux côtés des élus écologistes et du Front de gauche. Le vertige, c’est qu’une telle proposition n’a de chance d’être adoptée, en obtenant les 3/5es des voix du Parlement, que si elle est défendue par une gauche qui en aurait dessaisi la droite ! Malgré d’intenses pressions s’exerçant sur eux, il n’est pas sûr que suffisamment de parlementaires socialistes acceptent d’entrer dans cette combinaison. Je ne peux que l'espérer intensément.
L’impasse qui se dessine montre que nous sommes au bout du rouleau de la Cinquième République. Le coup d’État permanent ne fonctionne plus, les parlementaires ont redressé l’échine. Pour reprendre pied, j’ai tendu la main au président de la République au lendemain des régionales (dans un entretien au Monde). Ma démarche était sincère. La réponse fut cinglante : il n’y a aucune volonté de reconstituer une majorité de transformation. C’est donc à nous de nous y atteler sans attendre.
Que peut attendre de vous François Hollande et que pouvez-vous encore attendre de lui ?
Le temps n’est plus à l’attente, mais à l’action. On ne peut pas se contenter de s’asseoir au bord de la rivière dans l’attente d’une catastrophe qui pourrait s’avérer bénéfique. Je n’accepte pas cette idée que tout serait joué.
Cherchez-vous à trouver une porte de sortie au président de la République ou à mettre en échec sa réforme constitutionnelle ?
En premier lieu, je suis résolument opposée à la déchéance de nationalité et nous devons lui faire barrage. Sur la Constitution, je veux dire ceci. Nous n’avons pas à envoyer un tel message aux terroristes : vos attentats sont parvenus à faire modifier la Constitution de notre pays. Ma conviction est au contraire que la Constitution ne doit pas être modifiée en période troublée, sous la pression des événements, c'est d'ailleurs, au-delà de la lettre, l'esprit de son article 89.
Enfin, j’ajoute que du point de vue juridique, la constitutionnalisation de l’état d’urgence n’a aucune nécessité, puisque la loi de 1955 modifiée par le débat parlementaire a fait l’objet d’une QPC (question prioritaire de constitutionnalité), levant ainsi l’inquiétude qui pouvait exister au moment du Congrès de Versailles.
Pour le coup, quel est votre objectif concret ? Bloquer la discussion à l’Assemblée ? Mettre en minorité l’exécutif à Versailles ?
Je souhaite que cette réforme ne soit pas votée, je souhaite même que le président la retire. S’obstine-t-il, histoire de ne pas perdre sa crédibilité ? Il verse déjà depuis quelque temps dans l’autorité voire l’autoritarisme, sans avoir pour autant gagné beaucoup de crédibilité… Les gens sont élus pour ce qu’ils sont. Dès la primaire socialiste, François Hollande a été choisi pour son talent de la synthèse, son goût de l’équilibre. Or dans son exercice du pouvoir, s’est bizarrement évanouie cette qualité à laquelle il doit son élection — c’est ainsi qu’il avait séduit tous ceux qui voulaient se débarrasser de Nicolas Sarkozy.
La pression de la Cinquième République a rendu François Hollande complice et otage de ce système à bout de souffle. La question institutionnelle relève de l’urgence : il faut dépersonnaliser le pouvoir au plus vite ! Il m’apparaît stupéfiant qu’une ministre comme Christiane Taubira puisse dire que rien ne compte entre « la parole première » et « la parole dernière » du président : nous n’élisons pas un empereur !
L’exécutif considère que l’écologie politique est marginalisée, que vous ne comptez plus électoralement. Le tournant économique et sécuritaire, auquel vous étiez opposée, s’est accéléré depuis votre départ du gouvernement. La rupture va-t-elle se consommer entre EELV et le PS ?
Les analyses et les solutions des écologistes prétendument marginalisés sont désormais entérinées, qu’il s’agisse des conséquences de la pollution, de l’alimentation ou du dérèglement climatique. Voilà pour le fond.
Quant au plan électoral, il m’apparaît paradoxal de décréter que les écologistes ne pèsent plus rien, tout en s’inquiétant au plus haut point de leur présence au premier tour des régionales et de la présidentielle. Si certains socialistes escomptaient nous voir anéantis lors des régionales, tous ont cependant, hormis en Bretagne, recherché l’alliance avec EELV entre les deux tours.
Les écologistes doivent être les artisans de la construction d’une nouvelle force, avec les citoyens désireux de reconquête de leurs prérogatives, et capables de s’adresser aux millions de personnes pour lesquelles le clivage droite-gauche a perdu tout son sens, vidé par des années d’alignement. Pour EELV cela doit passer par la « déminorisation » des esprits écolos, qui devront se montrer ouverts à la discussion avec d’autres traditions politiques et prêts à  conquérir et exercer le pouvoir. Cette nouvelle force doit se construire et se penser comme pouvant exercer le pouvoir. Je veux aider à cette construction, faire bénéficier de mon expérience, à la place qu’on jugera utile de me concéder. Voilà mon horizon politique des cinq ou dix prochaines années.
Vous appeliez à la création de cette « nouvelle force », dans un livre paru en septembre dernier. Depuis, les régionales ont offert une mise en scène déprimante de vos désaccords avec Jean-Luc Mélenchon. L’opposition de gauche relève-t-elle de l’impasse ? N’est-ce qu’un concours d’hypocrisie, où chacun se proclame unitaire tout en restant dans son couloir présidentialiste…
Je souhaite un rassemblement qui sache où il va, en alliant ceux qui défendent les humiliés et ceux qui défendent l’écologie. « Derrière qui ? », la question me semble seconde. Pas secondaire, mais seconde, dans la mesure où il faut d’abord nous libérer de la question présidentielle.
Je ne suis pas obsédée par 2017. Les présidentielles que j’ai vécues ne donne pas franchement envie d’y aller quand on est écologiste. Et puis rien n’est encore écrit pour l’heure, tout peut venir perturber le storytelling d’un président sortant se qualifiant au second tour face à Marine Le Pen, à condition que personne ne le conteste – sous peine de disqualifier à nouveau la gauche... mais ce qui est sûr pour moi, c'est que ce n'est pas une force "contre" mais "pour". Se revendiquer structurellement opposant, c'est se condamner à l'impuissance.
François Hollande tablant sur une qualification au second tour gagnée sur sa droite, ceux qui se présenteront sur sa gauche pourraient concourir à son élimination…
Il faut enfin être lucide sur les causes du 21-Avril. La démobilisation des électeurs était une conséquence politique des choix gouvernementaux. François Hollande tourne le dos à tous les engagements qui ont permis le rassemblement victorieux de 2012, seul capable de le faire réélire en 2017. Un tel changement de cap est incompréhensible.
Pourquoi s’en prendre à tous ceux qui l’ont élu ? Le plus mystérieux à mes yeux, c’est ce refus obstiné et absolu de consentir à un virage politique. Reprenez déclarations et annonces de 2013 : l'effet du CICE devait être très rapide — ce qui justifiait son ampleur — où en sommes-nous aujourd'hui ? Je crois qu'il est plus déshonorant de s'obstiner plutôt que d'accepter un changement... celui-là qui était promesse de campagne.
Mais en envisageant de vous présenter à la présidentielle, vous dites-vous : « Si j’y vais, je vais le faire perdre » ?
À ce stade, ce n’est pas ainsi qu’il faut réfléchir. Je ne souhaite pas que s’effondre et disparaisse la gauche en France, avec son histoire et ses espoirs. Mais la responsabilité politique consiste à défendre ses valeurs. Je prendrai ma part de responsabilité à propos du vote sur la déchéance de nationalité, parce que la question ne permet pas de transiger. Mais la politique c’est également savoir créer des alliances pour faire avancer ses idées.
On m’a moquée quand j’ai tendu la main à François Hollande au lendemain des élections régionales, mais après un scrutin où le FN est au-dessus des 30 %, il m’était impensable de rester en retrait, en attendant la défaite, sans avoir tenté de l’empêcher.
Cécile Duflot, au cours d'un débat avec Eric Piolle, à Villeneuve d'Ascq, le 22 août 2015 © AB
François Hollande n’est-il pas en train de faire à EELV ce que François Mitterrand fit en son temps au PCF ?
On verra bien, mais je ne crois pas. Le PCF était un parti fort, plus fort que le PS, qui l’a peu à peu distancé puis remplacé. Nous sommes pour notre part les héritiers d’une histoire politique récente. Trente ans, ce n’est rien dans l’histoire des mouvements politiques, or nous avons deux groupes politiques, au Sénat et à l’Assemblée : c’est une première depuis très longtemps dans l’histoire politique française contemporaine.
Voulez-vous dire que Mitterrand étouffa un vieillard politique alors que Hollande fait face à un nourrisson ?
Les écologistes sont plutôt en train de sortir de l’adolescence, quand se pose la question de l’émancipation. Certains parlementaires quittent d’ailleurs le parti, au prétexte qu’il s’éloigne trop du PS, qu’il devient trop indépendant. Il faut que les écologistes arrêtent de limiter leurs rêves à 10 % de suffrages et cessent de ne s’imaginer que vice-président de région, maire-adjoint, avec un ou deux ministres pour les plus ambitieux… Notre mission historique est de contribuer à faire de l’écologie le grand mouvement du XXIe siècle.
Votre mouvement souffrirait-il du complexe du homard ?
Oui, nous sommes dans cette période où nous n’avons pas encore de nouvelle carapace : nous sommes dans le doute et nous sentons un peu mous. Mais nous sommes en pleine croissance et nos idées sont plus fortes que notre organisation. Nos idées sont notre force. Leur temps est aujourd’hui venu. Il ne nous reste plus qu’à sortir de notre rapport compliqué et complexé à l’exercice du pouvoir. Je plaide pour le dépassement de notre formation actuelle, pour reconstruire une maison plus grande dans une alliance plus forte. C’est au nom d’un tel dépassement que j’ai signé le texte du mouvement commun de Pouria Amirshahi (lire ici), de même que je suis favorable à la proposition des intellectuels qui appellent à une primaire ouverte à gauche.
Une telle primaire de gauche n’est-elle pas irréaliste vu les délais : congrès des uns et des autres (EELV et PCF au premier semestre), manque d’argent comme de militants ?
En politique, ce qui compte c’est la dynamique. Si elle prend, l’intendance suivra. Je salue cette volonté de nous extirper de la claustration politique actuelle à gauche, où toute critique du pouvoir reviendrait à faire perdre Hollande. Il faut faire craquer les coutures ! Et débattre devant nos électeurs des choix économiques et des orientations politiques. C’est encore jouable en terme de calendrier. Et le président sortant en viendra peut-être à considérer qu’un tel exercice pourrait lui permettre de retrouver une légitimité perdue…
Vous levez en partie un non-dit : quel est le périmètre politique d’une telle primaire à gauche ? Peut-il aller jusqu’aux socialistes soutenant l’orientation du pouvoir actuel ?
Difficile de répondre pour l’instant. Mais à partir du moment où je signe, j’accepte les règles, y compris un périmètre le plus large possible. Ce n’est pas une primaire de la gauche ou une primaire de l’autre gauche. C’est une primaire des gauches et de l’écologie. Il ne m’appartient pas de trancher les différends qui opposent les tenants de la guerre des gauches, mais d’ouvrir un chemin pour l’écologie. J’observe de surcroît que les vieilles forces de gauche rêvent d’un paysage politique où entre Mélenchon et Hollande il n’existerait aucune autre possibilité. C’est un “Yalta tacite” qui les amène d’ailleurs à refuser la primaire. Il faut en finir avec ce glacis conservateur. Nous devons faire mouvement : la situation l’exige et la société le demande.
Dans le contexte actuel, jugez-vous concevable que François Hollande puisse être le candidat de la gauche et des écologistes en 2017 ?
En l’état ? Non, il ne peut pas l'être. Est-ce qu’il est capable de retisser du lien et de présenter un projet rassembleur ? Plus les semaines passent, plus le temps devient court. Il reste quatorze mois. Nous ne pouvons pas utiliser ce temps à faire de la broderie en attendant, qui la catastrophe rédemptrice, qui un improbable miracle. La politique se fait avec des valeurs et des convictions. C'est le moment de le rappeler — et de le montrer.