Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires
Monsieur le Président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs chers collègues.Nous vivons des heures lourdes. C’est un de ces moments où chacun, chacune, doit personnellement porter sa part de vérité pour assumer ses responsabilités. Alors je pèse mes mots. Et pour énoncer en une phrase ce que je pense du sujet qui nous occupe, j’emprunte ces mots souvent cités de Montesquieu : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ».
Que n’a t’il été entendu par le gouvernement comme d’autres voix plus actuelles, celle de Pierre Mazeaud et ce matin celle de Robert Badinter, qui en rappellent l’inutilité.
Cela nous aurait dispensés, mes chers collègues, de l’épreuve que nous traversons ensemble.Oui, c’est bien d’une épreuve politique qu’il s’agit. De celles qui déterminent le destin d’une nation. De celles qui révèlent la capacité d’un pays à tenir bon sur ses valeurs fondamentales ou au contraire sa faiblesse de se laisser entrainer par les tourments de l’Histoire.
Nous aurions pu nous en dispenser. Pardon de le dire avec vigueur et sans précautions oratoires, mais ni l’état d’urgence ni la déchéance de nationalité ne requièrent une révision constitutionnelle. Sur l’état d’urgence, le Conseil constitutionnel a répondu dès 1985 aux objections, et ce à nouveau en décembre 2015.
La déchéance de nationalité ne requiert pas davantage de modification constitutionnelle. Des décisions du Conseil constitutionnel de 1996, puis de janvier 2015, sont venues la conforter. Et l’article 23-7 du Code civil prévoit déjà que «le Français qui se comporte de fait comme le national d’un pays étranger peut, s’il a la nationalité de ce pays, être déclaré par décret […] avoir perdu la qualité de Français».
J’y reviendrai.
La révision est donc inutile. Mais elle est de surcroit dangereuse. Parce quelle place notre Constitution, c’est à dire notre socle commun, sous le joug de la contingence.
Or, L’article 89 de la Constitution prévoit justement que les révisions constitutionnelles sont impossibles lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. On ne peut réformer sereinement la Constitution dans ces conditions. Quand des troubles nous assaillent, le sujet ne doit pas être de modifier la Constitution, mais de la protéger et de la préserver. Nous devons raison garder et nous prémunir de toutes formes d’emportement.
C’est pourquoi je porterai, en fin de texte un amendement permettant d’étudier la conformité des procédures de révisions constitutionnelles, car nous commettons ici un précédent qui pourrait être fâcheux.Cette étude, par le conseil des révisions, entre le vote de la loi constitutionnelle et son approbation par le congrès ou par le peuple est nécessaire. Nul besoin de prévoir de supra-constitutionnalité. Il s’agit de s’assurer de la validité des procédures de révision et d’éviter, comme le souhaitait Guy Carcassonne, le « blanc-seing donné par avance à n’importe quelle révision votée n’importe comment, par n’importe qui, dans n’importe quelles circonstances ».
De quoi est-il ici question ?
L’article premier crée un nouvel article 36-1, après l’article 36 sur l’état de siège, qui inscrit dans la Constitution la possibilité de décréter l’état d’urgence. Il reprend la rédaction suggérée par le Conseil d’État.Je l’ai dit, il est tout d’abord curieux d’avoir à étudier une réforme constitutionnelle sur l’état d’urgence, en état d’urgence. Dans sa décision du 22 décembre, le Conseil constitutionnel a considéré que cette constitutionnalisation n’était pas indispensable. Je cite le huitième considérant : « la Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence ».
Loin d’être une garantie supplémentaire en matière de libertés, comme cela nous a été dit, cette constitutionnalisation aurait comme effet utile d’alléger une partie des garanties constitutionnelles, qui seraient alors mises sur le même plan. Comme l’indique le rapport, cette constitutionnalisation autorisera une vaste révision des mesures dérogatoires prévues par la loi de 1955. Selon le gouvernement, cette constitutionnalisation de l’état d’urgence est nécessaire pour une nouvelle modification de la loi de 1955 qui permettrait la retenue administrative d’une personne perquisitionnée ou autoriserait la saisie administrative d’objets et d’ordinateurs durant les perquisitions administratives.
Il est donc faux d’affirmer, comme cela a été fait avec une légèreté proche de la désinvolture que le gouvernement se contente de constitutionnaliser un régime existant. Il vise au contraire à l’alourdir et à s’affranchir des limites constitutionnelles actuelles et à passer par-dessus le pouvoir judiciaire. Il me paraît néfaste de s’engager plus en avant dans cette voie.
Des magistrats ont ainsi alerté à raison sur le recul constant de leurs pouvoirs. On aurait tort de faire peu de cas de leurs alertes. Dans le même temps, des pouvoirs essentiels ont été transmis aux parquets ou aux préfets. La loi terrorisme de 2014, la loi renseignement ou le prochain projet de loi de réforme de la procédure pénale sont des éléments lourds de cette tendance. L’état d’urgence en est le cas le plus abouti, et certainement le plus grave.
Nous avons également regretté le refus par la commission des Lois de prévoir que la loi qui fixera les modalités de l’état d’urgence, et pas son déclenchement ou sa prolongation, serait une loi organique et non une loi simple. En novembre, lors de la prolongation de l’état d’urgence, nous avons modifié ce régime en toute hâte, en quasiment quarante-huit heures, en l’alourdissant de mesures importantes comme le blocage administratif des sites internet, l’extension des possibilités de dissolution d’association, le placement sous surveillance électronique des assignés à résidence, je l’avais relevé pendant les débats. Ces ajouts se sont faits dans des délais très brefs pour que le Parlement ne puisse pas pleinement prendre conscience de l’ampleur des changements votés.
Dans le même temps, monsieur le Premier Ministre, vous demandiez au Sénat de ne pas saisir le conseil constitutionnel du texte, évoquant le « risque » qu’il y avait à le faire. Je regrette que ces propos aient été tenus. Ils dénotent d’une dérive inquiétante. Le Conseil constitutionnel n’est pas un risque, mais un garde-fou essentiel de notre vie démocratique.Dès lors que nous avons une loi de 1955 actualisée et stabilisée, il semble indispensable de garantir que les prochaines réformes se feront dans des délais minimaux satisfaisants – quinze jours – et avec un contrôle systématique de constitutionnalité.
J’en viens maintenant à la question de la déchéance de nationalité.
L’article 2 modifie l’article 34 qui porte sur le domaine de la loi. Cet article 34 prévoit actuellement que la loi fixe notamment les règles concernant la nationalité. L’article 2 du projet de loi initial ajoute qu’il fixerait notamment « les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ».
C’est là aussi une reprise de la rédaction suggérée par le Conseil d’État, afin d’éviter de créer un article uniquement consacré à la déchéance de nationalité dans la Constitution.
Toutefois, je note qu’au sein de l’article 3, la nationalité serait séparée des autres champs du code civil, comme si on refaisait un code de la nationalité. Evidemment, cette rédaction n’est plus d’actualité vous l’avez dit, en la matière le gouvernement ne cesse d’évoluer dans ses rédactions, multipliant les hésitations et les formulations.
L’objectif du gouvernement, comme rappelé dans l’exposé des motifs, vise à lever une inconstitutionnalité qui résulterait d’une éventuelle reconnaissance par le Conseil constitutionnel d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République – oui nous parlons bien d’un PFRLR – interdisant la déchéance de nationalité des personnes nées françaises. Il est également possible que la déchéance d’une personne née française soit considérée par le Conseil comme une disproportion excessive entre la gravité des faits en cause et la sévérité de la sanction.
Au-delà du lit de justice constitutionnelle, je note que nous allons inclure à l’article 34 de la Constitution quelque chose de fondamental contraire à l’article premier qui prévoit que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Notre collègue René Dosière a utilement rappelé en commission que la déchéance de nationalité figurait dans la majorité des constitutions des premières Républiques. C’est vrai. Mais c’est oublier que le dernier régime à l’avoir massivement utilisée fut le régime de Vichy. Il ne s’agit pas ici de faire des parallèles hasardeux ; il s’agit ici – que ça vous plaise ou non – de rappeler un traumatisme, un traumatisme de notre histoire, né dans un parlement, composé de parlementaires français. Oui c’est ce qui nous est arrivé.Il ne s’agit pas ici de ne pas regarder en face qu’à la Libération, ceux qui ont reconstruit notre pays n’ont voulu que la création d’un crime d’indignité nationale, et d’une peine associée, préférée à la déchéance. C’est la vérité historique.
Notre droit prévoit déjà, tant la perte, qui sanctionne un état de fait, que la déchéance de nationalité. Mais l’un, comme l’autre excluent l’apatridie. En effet, la perte de nationalité, prévue aux articles 23 à 23-9 du code civil, résulte d’un acte volontaire ou d’une situation de fait. La déchéance de nationalité, résulte elle d’une décision de l’Etat, et est prévue par les articles 25 et 25-1 du code civil. Elle ne concerne pour l’instant que les personnes binationales naturalisées françaises, depuis moins de 10 ans ou 15 ans, ayant été condamnées pour différentes infractions graves.
Actuellement la loi ne prévoit pas la déchéance des personnes binationales nées françaises. Cette distinction dans la déchéance entre Français de naissance et Français d’acquisition, se justifie par un rapport différent à la nationalité. Dès lors, la déchéance est une mesure décidée par l’autorité administrative qui avait précédemment fait un choix, celui de naturaliser la personne.
C’est l’objet principal de cette révision constitutionnelle d’inscrire la déchéance de nationalité des personnes nées françaises au sein même de notre pacte fondamental, la Constitution.
Au moment même où la Nation a besoin d’être rassemblée, elle est divisée.
Pour ne pas inscrire dans le marbre constitutionnel cette inégalité, tout en la maintenant dans les faits, ou peut-être finalement plus, le gouvernement a décidé de proposer une troisième rédaction de l’article 2, associée à un projet de loi. Les exégètes amateurs en ont fait deux lectures différentes de cet amendement. La première est que cette rédaction neutre, tautologique, n’emporterait aucun effet utile, en ne précisant pas les cas pour lesquels l’inconstitutionnalité devrait être levée. La seconde, partagée par le gouvernement, est plus inquiétante. Le projet de loi ne ferait plus de différence. Il n’évoquerait plus non plus la question des binationaux. Cette question ne serait renvoyée, je l’ai entendu dans vos mots, qu’au projet de loi simple – modifiable par n’importe quelle assemblée, dans n’importe quelles circonstances – et aux engagements internationaux de la France qui interdisent l’apatridie.
Nous aurions peur nous même d’interdire l’apatridie, alors nous nous réfugierons mollement et faiblement derrière des engagements internationaux, derrière une ratification qui n’a pas été faite, en 1961.
Avec la nouvelle rédaction du gouvernement, la protection contre cette abomination est gommée dans la Constitution. Elle serait éventuellement renvoyée à la ratification de convention, celle de l’ONU de 1961, celle du conseil de l’Europe de 1997. Mais une protection constitutionnelle est toujours préférable à une convention, que la France n’a signée qu’avec réserve, ou à une simple mention dans la loi.
La nouvelle version permettra – et je pense que là c’est encore plus grave – la déchéance pour de simples délits, là où le projet de loi initial se limitait au crime. Bien que l’avant-projet de loi simple ait une lecture restrictive de ces délits, combien de déchéances hors terrorisme ont-elles été prononcées depuis 30 ans ? – rien ne nous garantit qu’une autre majorité ne modifiera pas ce qui reste un avant-projet. Je rappelle que nous avons voté ici que l’apologie du terrorisme pourrait être punie de 7 ans de prison. Ce délit peut très facilement rentrer dans la définition constitutionnelle et être considéré comme un délit portant une atteinte grave à la « vie de la Nation ». Ce concept de vie de la Nation est d’ailleurs un concept peu défini, différent des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, et ce n’est pas cette dernière rédaction qui a été choisie. Par ailleurs le projet de loi prévoit que la déchéance de citoyenneté serait une peine complémentaire décidée par un juge, sous la pression que nous connaissons.
Sur l’efficacité de la mesure dans le combat contre le terrorisme, sur l’efficacité de la mesure dans le combat contre le terrorisme – ce qui doit nous rassembler, à chaque instant et sans mollir – tous s’accordent, tous s’accordent, à dire qu’elle sera au mieux purement symbolique, au pire totalement contre-productive : vous l’avez écrit monsieur le garde des sceaux, dans vos anciennes fonctions, que cela pouvait alimenter la martyrologie de ceux qui se dressent contre nos pays et contre ses valeurs. Ainsi, une personne déchue de sa nationalité n’est pas obligatoirement expulsée. Plusieurs personnes déchues de leur nationalité ces dernières années ne sont pas expulsables vers l’Algérie du fait des risques de tortures. Elles enchainent les assignations à résidence sur notre territoire.
En 2010, le gouvernement avait prévu, dans un projet de loi d’étendre la déchéance aux meurtriers de policiers. La gauche s’était alors fortement mobilisée contre, et avec quels arguments. Si cette mesure, celle que nous examinons aujourd’hui avait été présentée par un gouvernement issu de l’opposition actuelle, je pense que ce ne serait pas moi qui parlerais devant vous, mais le président du groupe socialiste, et peut-être même avec des mots encore plus imposants. Voilà la vérité. Le Sénat, une partie de la droite et du centre, avaient pourtant accompagnée cette mesure. Le gouvernement avait finalement accepté le retrait de l’article en question. Ce que la droite a fait, sur un sujet si fondamental pour notre pays, la gauche n’en serait pas capable ?Il le faut pourtant.Notre vielle nation a besoin de pondération et d’esprit de concorde pour résister au vent mauvais qui souffle sur tout le continent. Une loi de circonstance concoctée à la hâte risque de venir altérer la conception que nous avons de l’égalité de tous les français devant la loi.
On me dit, et on dit souvent, que les Français sont majoritairement acquis à l’idée de la déchéance de la nationalité. Cette pseudo majorité puise sa source dans l’écœurement légitime qui envahit chacun de nous quand nous imaginons que des français s’en prennent à d’autres français.
On est tenté de se dire que s’ils ont prêté leurs bras meurtriers à la haine c’est qu’au fond ils n’étaient pas vraiment Français, puisque d’ailleurs ils avaient notre pays en horreur. Alors pourquoi refuser de les déchoir d’une nationalité qu’eux même récusent violemment ?
Parce qu’à cet instant précis, mes chers collègues, nous emprunterions le chemin de nos ennemis. Notre conception de la nationalité en ressortirait à jamais blessée. Notre vivre ensemble serait marqué à perpétuité par l’esprit de suspicion qui distinguerait les français en catégories.Inscrire la déchéance dans notre Constitution, c’est au fond laisser l’insensé dire le sens commun, laisser l’aliéné prescrire l’ordonnance, laisser le fanatique décider d’un traitement qui nous empoisonnerait tous. Leur haine ne saurait dicter notre conduite collective.
Tenons la déchéance pour ce qu’elle est, une diversion commode mais inefficace et attachons nous plutôt à rebâtir un esprit républicain trop longtemps délaissé. La priorité n’est pas la révision de la Constitution mais la réinvention de la République.
Car la République n’est pas une idée morte. Elle est notre maison commune. Ses fondations sont solides, mais son visage est aujourd’hui défiguré par la montée de l’esprit de sécession, par les divisons, les communautarismes étouffants. Parce que nous ne disons plus ensemble ce que signifie être français, nous vivons un temps d’hypertrophie des identités particulières.
Or la République est le régime qui sans abolir les identités singulières les transcendent en une identité plus haute. Elle est donc plus que jamais d’actualité. La République est une tension vers le commun : elle ne souffre aucun relâchement. La République est un combat. Il se mène dans le ciel des idées, mais aussi dans la glaise des conditions matérielles d’existence de nos concitoyennes et concitoyens. Après janvier 2015, monsieur le Premier ministre, vous aviez eu des mots très forts pour dénoncer les inégalités de condition, parlant même d’apartheid. Au choc des mots a succédé le vide des actes. Pourquoi ? Pourquoi une telle inconsistance des politiques publiques ? Pourquoi des quartiers laissés à l’abandon qui méritent autre chose que l’éternel mensonge d’une égalité toujours évoquée et jamais mise en actes.
Qu’on me comprenne bien à cet instant. Je ne dis pas que le terrorisme est le fruit d’un déterminisme social qui dédouanerait les auteurs de ces crimes odieux de leur fardeau de sang. J’affirme au contraire que dans la guerre de mouvement intellectuel qui nous oppose aux terroristes semeurs de morts, la question première est de les empêcher d’enrôler les esprits faibles, perdus, ivres d’ignorance et de haine qui les rejoignent.
Certains ont dit qu’il ne fallait pas chercher à comprendre, qu’il n’y avait rien à comprendre. Je veux ici plaider le contraire et affirmer que notre devoir d’élucidation de ce qui nous arrive n’a jamais été si grand. Parce qu’en vérité notre sécurité passe autant par le renforcement des mesures policières que par la déconstruction minutieuse des procédés par lesquels on fabrique un terrorisme.
« Vous ne pouvez rien contre le gosse de dix-sept ans qui a décidé de mettre une bombe quelque-part. Tout effort contre lui se retournera contre vous. Mettre une violence contre la violence, c’est la chose la plus sotte qui puisse être faite. Il faut tenter de retirer le point douloureux ». Ces mots sont de Germaine Tillon. Elle a voulu qu’ils soient lus à ses obsèques, en avril 2008, en présence de notre ancien président de la République, Nicolas Sarkozy. Germaine Tillon parlait de l’Algérie, c’était une des plus grande connaisseuse de ce qui s’est passé. Je me garderais bien de donner des leçons à qui que ce soit. Conduite au Panthéon, elle savait mieux que nous ce qu’il convient de faire dans des périodes troublées.
Il y a, je le sais, sur tous les bancs de cette assemblée, des hommes et des femmes de conviction, des démocrates sincères et libres, qui font passer la fidélité à leurs convictions avant la discipline de parti.Ce n’est pas une question de droite ou de gauche, même si chacun sans doute à cet instant, puise dans sa propre tradition de pensée les arguments pour s’opposer à cette révision de la Constitution. Ce ne doit pas être davantage une question de calcul politicien. D’ailleurs on voit bien que la gauche en voulant mettre un adversaire dans l’embarras, a jeté nos valeurs aux oubliettes.
Ce qui doit nous animer c’est une question de conception de notre démocratie. Nous sommes ici les garants de la Constitution. Refusons de voter une réforme qui pour la première fois réduit sensiblement nos libertés. Voilà en vérité l’enjeu du débat qui s’ouvre.
Et voilà ce qui m’amène à demander le rejet de ce projet de révision constitutionnelle.La France mérite mieux que cette palinodie que nous vivons depuis plusieurs semaines, qui nous voit abjurer nos valeurs pour afficher le masque de l’autoritarisme. La tyrannie de la communication nous fait perdre la tête. Nous mimons la guerre au lieu de la mener avec la meilleure de nos armes : la démocratie. Celle que les terroristes ont pris pour cible. L’état de droit est une force, il n’est pas pas une faiblesse.
L’état d’urgence ne saurait devenir l’état d’exception permanent.
Ou alors, sans le dire nous changerions de régime, insidieusement, en basculant durablement dans une forme d’arbitraire érigée en système.Je comprends qu’on pense différemment. Mais serait-il possible, à cet instant, que cessent injures, quolibets et caricatures, qui visent à nous enfermer – ceux qui défendent ici, comme je le fais, les grandes valeurs qui sont au coeur de notre République – dans un rôle de naïfs angéliques n’entendant rien aux affaires de sécurité nationale.
Oui c’est par la peur d’un discours contraire que l’on fait taire ceux qui s’interrogent. C’est comme ça, toujours. Mais la naïveté c’est de croire que la modification de notre Constitution proposée ne blessera pas durablement notre démocratie et nous protégera magiquement des attaques terroristes.
Nous sommes engagés dans un cycle de long terme. Le courage commande de le dire, plutôt que d’agiter des symboles mal maitrisés.
Par temps de crise, l’unité demeure notre bien le plus précieux. Je l’ai dit à Versailles devant vous tous, elle ne doit pas nous faire hésiter. Or la réforme proposée divise profondément. Je ne peux m’empêcher de penser que notre pays vient de gâcher une occasion historique de refonder le contrat qui nous lie. Le débat aurait du porter sur ce qui nous rassemble, sur les moyens de conjurer ensemble les menaces qui nous accablent, de nous défaire des maux qui nous signent. Nous y étions disposés. Les parlementaires et les français ont joué le jeu de l’unité nationale et nous avons récolté en retour une proposition dont les arrières pensées tacticiennes apparaissent chaque jour davantage comme un fiasco collectif.
Désormais, comme un canard sans tête, courant en tous sens à la recherche de compromis boiteux – qu’il n’est même plus capable, dans la bouche du porte parole du gouvernement, d’assumer publiquement – le gouvernement cherche une porte de sortie pour s’échapper du piège qu’il s’est tendu à lui même. A la vérité, il n’y en a qu’une monsieur le Premier ministre : le retrait pur et simple de ce projet de révision constitutionnelle inutile et dangereux.
Les plus éminents juristes ont exprimé opposition et réserves sur ce texte je l’ai déjà dit mais cela se heurterait, selon vous monsieur le Premier ministre, à un « serment fait à Versailles »… La lettre du discours du Président de la République disait pourtant deux choses : il n’était pas question de mettre la déchéance de nationalité dans la Constitution, il était surtout question de ne pas créer d’apatrides. C’est le contraire de ce soit-disant serment qui est ici proposé.
Mais je veux le dire avec un peu de gravité, nous sommes en démocratie et c’est le Parlement qui vote la loi et si ce Palais de la République forme clôture pour le Président d’icelle c’est pour ne pas être subordonné à un seul. C’est ce président de la République pourtant que je vais citer, le 27 mai 2015 lorsque selon ses mots « la France avait rendez-vous avec le meilleur d’elle-même », le jour où deux hommes et deux femmes entraient au Panthéon pour être selon ses mots « donnés en exemple aux générations nouvelles ». J’ai cité Germaine Tillion, mais c’est ici la seconde, son amie de Ravensbruck que je veux ici prendre en exemple.
Elle a parlé ici. A cette place exacte. Ici même, une vieille dame, frêle. Elle a dit, à cette place exacte, le 15 avril 1997. Cette femme, qui a vécu les pires horreurs de la déportation a dit. Ici : «Après les terribles épreuves que lui ont fait subir l’oppression nazie et celle de ses complices de Vichy, la France a resouscrit à un pacte avec les valeurs républicaines. […] Puisque nous vivons aujourd’hui une nouvelle montée d’atteintes aux valeurs fondatrices de notre République, il ne sert à rien de les défendre morceau par morceau, tout en tolérant par ailleurs des reculs. La seule riposte possible, la seule voie consiste à nous rassembler pour vouloir et mettre en œuvre plus de démocratie. »
La démocratie ici c’est vous et chez moi chers collègues. Elle est donc entre les mains de chacune et chacun d’entre nous. En conscience.
Geneviève Anthonioz de Gaulle aimait à citer Georges Bernanos. Un homme qui n’a pas hésité à penser et à agir contre sa famille quand l’assignation prudente à l’obéissance semblait être l’évidence confortable.
Ce sont ses mots que je vous laisse ici, ce matin tranquille et peut-être banal de février qui pourrait rester comme celui qui a ouvert une plaie qui risquerait de devenir béante dans notre pacte commun :
« L’honneur est un instinct. Comme l’amour. »
Cécile Duflot